La Double inconstance, (suivi de) Arlequin poli par l'amour
Compl. Titre  comédies
Auteurs   Marivaux, Pierre de (Auteur)
Edition  Librairie Générale Française : Paris , 1987
Collection   Le Livre de poche N°6351
Collation   192 p.
ISBN   2-253-04179-3
Prix   16,50 F
Langue d'édition   français
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Varennes-sur-Seine 1774820017539 T MARJEUNE / Disponible
Résumé : ACTE I'>Scène 1'>SILVIA, TRIVELINet quelques femmes à la suite de SILVIASilvia paraît sortir comme fâchée.TRIVELIN. Mais, Madame, écoutez-moi.SILVIA. Vous m'ennuyez1.TRIVELIN. Ne faut-il pas être raisonnable 'SILVIA, impatiente. Non, il ne faut pas l'être, et je ne le serai point.TRIVELIN. Cependant...SILVIA, avec colère. Cependant, je ne veux point avoir de raison : et quand vous recommenceriez cinquante fois votre cependant, je n'en veux point avoir : que ferez-vous là2 'TRIVELIN. Vous avez soupé1 hier si légèrement, que vous serez malade, si vous ne prenez rien ce matin.SILVIA. Et moi, je hais la santé, et je suis bien aise1 d'être malade ; ainsi, vous n'avez qu'à renvoyer tout ce qu'on m'apporte, car je ne veux aujourd'hui ni déjeuner1, ni dîner1, ni souper1 ; demain la même chose. Je ne veux qu'être fâchée, vous haïr tous tant que vous êtes, jusqu'à tant que j'aie vu Arlequin, dont on m'a séparée : voilà mes petites résolutions, et si vous voulez que je devienne folle, vous n'avez qu'à me prêcher d'être plus raisonnable, cela sera bientôt fait.TRIVELIN. Ma foi, je ne m'y jouerai pas3, je vois bien que vous me tiendrez parole ; si j'osais cependant...SILVIA, plus en colère. Eh bien ! ne voilà-t-il pas encore un cependant 'TRIVELIN. En vérité, je vous demande pardon, celui-là m'est échappé, mais je n'en dirai plus, je me corrigerai. Je vous prierai seulement de considérer...SILVIA. Oh ! vous ne vous corrigez pas, voilà des considérations qui ne me conviennent point non plus.TRIVELIN, continuant. ... que c'est votre souverain 4 qui vous aime.SILVIA. Je ne l'empêche pas, il est le maître : mais faut-il que je l'aime, moi ' Non, et il ne faut pas, parce que je ne le puis pas ; cela va tout seul, un enfant le verrait, et vous ne le voyez pas.TRIVELIN. Songez que c'est sur vous qu'il fait tomber le choix qu'il doit faire d'une épouse entre ses sujettes.SILVIA. Qui est-ce qui lui a dit de me choisir ' M'a-t-il demandé mon avis ' S'il m'avait dit : Me voulez-vous, Silvia ' je lui aurais répondu : Non, seigneur, il faut qu'une honnête* femme aime son mari, et je ne pourrais pas vous aimer. Voilà la pure raison, cela ; mais point du tout, il m'aime, crac, il m'enlève, sans me demander si je le trouverai bon.TRIVELIN. Il ne vous enlève que pour vous donner la main5.SILVIA. Eh ! que veut-il que je fasse de cette main, si je n'ai pas envie d'avancer la mienne pour la prendre ' Force-t-on les gens à recevoir des présents malgré eux 'TRIVELIN. Voyez, depuis deux jours que vous êtes ici, comment il vous traite ; n'êtes-vous pas déjà servie comme si vousétiez sa femme ' Voyez les honneurs qu'il vous fait rendre, le nombre de femmes qui sont à votre suite6, les amusements* qu'on tâche de vous procurer par ses ordres. Qu'est-ce qu'Arlequin au prix d'un prince plein d'égards, qui ne veut pas même se montrer qu'on ne vous ait disposée à le voir7 ' d'un prince jeune, aimable* et rempli d'amour, car vous le trouverez tel. Eh ! Madame, ouvrez les yeux, voyez votre fortune*, et profitez de ces faveurs.SILVIA. Dites-moi, vous et toutes celles qui me parlent, vous a-t-on mis avec moi, vous a-t-on payés pour m'impatienter, pour me tenir des discours qui n'ont pas le sens commun, qui me font pitié 'TRIVELIN. Oh parbleu ! je n'en sais pas davantage, voilà tout l'esprit* que j'ai.SILVIA. Sur ce pied-là*, vous seriez tout aussi avancé de n'en point avoir du tout.TRIVELIN. Mais encore, daignez, s'il vous plaît, me dire en quoi je me trompe.SILVIA, en se tournant vivement de son côté. Oui, je vais vous le dire, en quoi, oui...TRIVELIN. Eh ! doucement, Madame, mon dessein n'est pas de vous fâcher.SILVIA. Vous êtes donc bien maladroit.TRIVELIN. Je suis votre serviteur.SILVIA. Eh bien ! mon serviteur8, qui me vantez tant les honneurs que j'ai ici, qu'ai-je affaire de ces quatre ou cinq fainéantes qui m'espionnent toujours ' On m'ôte mon amant*, et on me rend des femmes à la place ; ne voilà-t-il pas un beau dédommagement ' Et on veut que je sois heureuse avec cela ! Que m'importe toute cette musique, ces concerts et cette danse dont on croit me régaler9 ' Arlequin chantait mieux que tout cela, et j'aime mieux danser moi-même que de voir danser les autres, entendez-vous ' Une bourgeoise* contente dans un petit village vaut mieux qu'une princesse qui pleure dans un bel appartement. Si le prince est si tendre10, ce n'est pas ma faute, je n'ai pas été le chercher ; pourquoi m'a-t-il vue ' S'il est jeune et aimable, tant mieux pour lui, j'en suis bien aise : qu'il garde tout cela pour ses pareils, et qu'il me laisse mon pauvre Arlequin, qui n'est pas plus gros monsieur que je suis grosse dame, pas plus riche que moi, pas plus glorieux 11 que moi, pas mieux logé, qui m'aime sans façon, que j'aime de même, et que je mourrai de chagrin de ne pas voir. Hélas, le pauvre enfant ! qu'en aura-t-on fait ' qu'est-il devenu ' Il se désespère quelque part, j'en suis sûre, car il a le c'ur si bon ! Peut-être aussi qu'on le maltraite...(Elle se dérange de sa place.) Je suis outrée. Tenez, voulez-vous me faire un plaisir ' Ôtez-vous de là, je ne puis vous souffrir, laissez-moi m'affliger en repos.TRIVELIN. Le compliment est court, mais il est net. Tranquillisez-vous pourtant, Madame.SILVIA. Sortez sans me répondre, cela vaudra mieux. TRIVELIN. Encore une fois, calmez-vous, vous voulez Arlequin, il viendra incessamment, on est allé le chercher.SILVIA, avec un soupir. Je le verrai donc 'TRIVELIN. Et vous lui parlerez aussi.SILVIA, s'en allant. Je vais l'attendre : mais si vous me trompez, je ne veux plus ni voir ni entendre personne.Pendant qu'elle sort, le Prince et Flaminia entrent d'un autre côté et la regardent sortir.Scène 2'>LE PRINCE, FLAMINIA, TRIVELINLE PRINCE, à Trivelin. Eh bien, as-tu quelque espérance à me donner ' Que dit-elle 'TRIVELIN. Ce qu'elle dit, seigneur, ma foi, ce n'est pas la peine de le répéter, il n'y a rien encore qui mérite votre curiosité.LE PRINCE. N'importe, dis toujours.TRIVELIN. Eh non, seigneur, ce sont de petites bagatelles* dont le récit vous ennuierait, tendresse pour Arlequin, impatience de le rejoindre, nulle envie de vous connaître, désir violent de ne vous point voir, et force haine pour nous ; voilà l'abrégé de ses dispositions, vous voyez bien que cela n'est point réjouissant ; et franchement, si j'osais dire ma pensée, le meilleur serait de la remettre où on l'a prise.Le Prince rêve tristement.FLAMINIA. J'ai déjà dit la même chose au Prince, mais cela est inutile. Ainsi continuons, et ne songeons qu'à détruire l'amour de Silvia pour Arlequin.TRIVELIN. Mon sentiment à moi est qu'il y a quelque chose d'extraordinaire dans cette fille-là ; refuser ce qu'elle refuse, cela n'est point naturel, ce n'est point là une femme, voyez-vous, c'est quelque créature d'une espèce à nous inconnue. Avec une femme, nous irions notre train12 ; celle-ci nous arrête, cela nous avertit d'un prodige13, n'allons pas plus loin.LE PRINCE. Et c'est ce prodige qui augmente encore l'amour que j'ai conçu pour elle.FLAMINIA, en riant. Eh, seigneur, ne l'écoutez pas avec son prodige, cela est bon dans un conte de fée. Je connais mon sexe, il n'a rien de prodigieux que sa coquetterie. Du côté de l'ambition, Silvia n'est point en prise14, mais elle a un c'ur15, et par conséquent de la vanité ; avec cela, je saurai bien la ranger à son devoir de femme. Est-on allé chercher Arlequin 'TRIVELIN. Oui ; je l'attends.LE PRINCE, d'un air inquiet. Je vous avoue, Flaminia, que nous risquons beaucoup à lui montrer son amant*, sa tendresse pour lui n'en deviendra que plus forte.TRIVELIN. Oui ; mais si elle ne le voit, l'esprit lui tournera, j'en ai sa parole.FLAMINIA. Seigneur, je vous ai déjà dit qu'Arlequin nous était nécessaire.LE PRINCE. Oui, qu'on l'arrête 16 autant qu'on pourra ; vous pouvez lui promettre que je le comblerai de biens et de faveurs, s'il veut en épouser une autre que sa maîtresse*.TRIVELIN. Il n'y a qu'à réduire 17 ce drôle-là, s'il ne veut pas.LE PRINCE. Non, la loi qui veut que j'épouse une de mes sujettes me défend d'user de violence contre qui que ce soit.FLAMINIA. Vous avez raison ; soyez tranquille, j'espère que tout se fera à l'amiable. Silvia vous connaît déjà...